L’Ecclésiaste a peut-être résumé l’essentiel de sa pensée dans ce verset : “Toute œuvre de Dieu vient bien en son temps, mais il a mis l’éternité au cœur des hommes ; et eux ne trouvent pas le sens de l’œuvre divine depuis le début jusqu’à la fin” (3,11 et 14 ; 8,16-17).
Créé à l’image de Dieu, l’homme est maître de l’univers. Cependant il n’est que le serviteur tiré de la glaise à qui Dieu impose la pénible tâche de toujours chercher.
L’Ecclésiaste vivait au troisième siécle avant le Christ. Après le passage du fameux Alexandre le Grand, et le partage de ses conquêtes entre ses généraux, la Palestine avait échu aux Lagides, maîtres de l’Egypte. Ces rois, semble-t-il, ne pensaient qu’à tirer le maximum d’argent de leurs sujets ; en Palestine, les grandes familles se chargeaient de récolter pour eux (et pour elles) le maximum d’impôts en pressurant le peuple pauvre. C’était l’heure où s’imposaient un peu partout la langue grecque et l’hellénisme, c’est-à-dire la culture grecque greffée sur les traditions locales. Il y avait une invasion de marchands grecs et l’activité économique était en plein essor. Ceux qui voulaient faire carrière se jetaient sur les écoles où l’on parlait grec et l’on enseignait les auteurs grecs.
Jérusalem était restée un temps à l’écart, puis le poids de la politique avait obligé les grands-prêtres à composer avec les familles qui misaient sur la culture nouvelle, celle des affaires. L’école du Temple était en déclin. On n’y commentait que les textes hébreux et l’on répétait sans plus les maximes anciennes du livre des Proverbes : fais le bien et tu connaîtras le bonheur, les méchants sont toujours punis. Apparemment, rien ne tenait devant l’hellénisme et la foi au Dieu d’Israël s’y perdait jour après jour. C’est alors qu’un maître de la Loi, bon connaisseur des auteurs grecs, relève le défi. Prédicateur, controversiste (c’est le sens du mot ecclésiaste : celui qui convoque, celui qui interpelle), il remet en cause les certitudes de la philosophie grecque. Celle-ci prétendait venir à bout des inconnues de l’existence, une ambition qui reste au coeur de la culture occidentale.
L’homme, dit-il, n’est pas maître de son destin : tout est don de Dieu. Au lieu de se perdre dans l’activisme et de ne penser qu’à l’argent, les jeunes doivent apprendre à vivre et à profiter des joies que Dieu nous donne tout au long de l’existence. Tout est incertain et notre raison est prise en défaut à chaque instant. Celui qui refuse de regarder en face une mort certaine n’a qu’une apparence de sagesse.
Mais aussi l’Ecclésiaste renonce aux réponses religieuses trop faciles : il n’est pas vrai que le mal est toujours puni sur terre. Les commandements nous tracent un chemin, mais sachons respecter les silences et l’apparente absence de Dieu.
Les disciples de cet inconnu ont placé son oeuvre sous le nom de Salomon, le roi qui s’était acquis une réputation de sagesse. Ils ont résumé les enseignements de leur maître dans ce court écrit destiné peut-être à servir de base pour l’enseignement à l’école du Temple. Ce livre a dû être rédigé vers les années 240-220 av.J.C.
L’Ecclésiaste est appelé aujourd’hui de son nom hébreu, Qoheleth, pour le distinguer du livre de Sirac appelé traditionnellement Ecclésiastique. Pour cette raison, nous le citons avec l’abréviation Qo.