1 Au matin il y eut un conseil général des chefs des prêtres et des Anciens du peuple pour voir les moyens de mettre Jésus à mort. 2 Après l’avoir lié, ils le conduisirent chez Pilate, le gouverneur, pour le lui livrer.
3 Lorsque Judas, qui avait trahi Jésus, apprit sa condamnation, il fut pris de remords ; il vint rendre les trente pièces d’argent aux chefs des prêtres et aux Anciens. 4 Judas leur dit : “J’ai péché, j’ai fait mourir un innocent.”
Eux lui répondirent : “Qu’est-ce que cela nous fait ? C’est ton problème !” 5 Alors il jeta les pièces d’argent en direction du Sanctuaire, il se retira et alla se pendre.
6 Les chefs des prêtres ramassèrent les pièces, mais ils dirent : “Il n’est pas permis de les verser au trésor, car c’est le prix du sang versé.” 7 Aussi, après en avoir discuté, ils achetèrent avec cet argent le Champ du Potier pour y enterrer les étrangers.
8 C’est la raison pour laquelle ce terrain s’est appelé jusqu’à maintenant le Champ du Sang. 9 De cette façon s’accomplit une parole du prophète Jérémie : Ils ont pris les trente pièces d’argent, le prix de celui qu’on avait mis à prix, le prix fixé par les fils d’Israël, 10 et ils l’ont donné pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’a demandé.
11 Jésus fut amené devant le gouverneur, et le gouverneur l’interrogea. Il lui dit : “Es-tu bien le roi des Juifs ?” Jésus répondit : “C’est toi qui le dis.” 12 Les chefs des prêtres et les Anciens du peuple firent alors entendre leurs accusations, mais il ne répondit rien.
13 Pilate lui demanda : “Tu n’entends pas toutes ces accusations contre toi ?” 14 Mais Jésus ne répondit absolument rien, de sorte que le gouverneur était fort étonné.
15 Chaque année, pour la Fête, c’était la coutume que le gouverneur relâche un prisonnier, celui que le peuple lui réclamait. 16 Or ils avaient à ce moment un prisonnier fameux, le nommé Barabbas. 17 Comme ils étaient là rassemblés, Pilate leur dit : “Qui voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus qu’on appelle le Messie ?” 18 Car Pilate savait bien qu’on lui avait livré Jésus pour des questions de rivalité.
19 Comme Pilate siégeait à son tribunal, sa femme lui fit dire : “Ne lui fais rien ; c’est un homme droit et j’ai eu cette nuit à cause de lui un rêve qui m’a fait beaucoup souffrir.”
20 Pour leur part, les chefs des prêtres et les Anciens surent amener la foule à réclamer Barabbas et à faire périr Jésus. 21 Aussi, quand Pilate leur demanda : “Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ?” ils répondirent : “Barabbas !” 22 Pilate leur dit : “Et que dois-je faire de Jésus qu’on appelle le Messie ?” Tous répondirent : “Qu’il soit mis en croix !” 23 Il demanda : “Qu’a-t-il fait de mal ?” Mais ils ne firent que crier plus fort : “Qu’il soit mis en croix !”
24 Pilate voyait qu’il ne gagnait rien et que l’agitation allait en augmentant ; il se fit apporter de l’eau et se lava les mains devant la foule en disant : “Je ne suis pas responsable de ce sang, vous en répondrez !” 25 Et tout le peuple dit : “Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !”
26 Donc Pilate leur libère Barabbas et il fait flageller Jésus avant de le remettre à ceux qui vont le crucifier.
27 Les soldats du gouverneur prennent Jésus avec eux dans la cour de garde, et ils appellent autour de lui tout le bataillon. 28 Ils lui enlèvent ses habits et le couvrent d’un manteau rouge de l’armée, 29 puis ils tressent avec des épines une couronne qu’ils lui mettent sur la tête, avec un roseau dans la main droite. Ensuite ils se mettent à genoux devant lui et ils le frappent en disant : “Salut, roi des Juifs !” 30 Ils lui crachent dessus, prennent le roseau et frappent sur sa tête.
31 Lorsqu’on eut fini de se moquer de lui, on lui enleva le manteau de soldat et on lui remit ses vêtements. Puis on l’emmena pour le crucifier. 32 Juste en sortant, ils trouvèrent un certain Simon, qui était de Cyrène, et ils l’obligèrent à porter sa croix. 33 Ils vinrent ainsi à l’endroit qu’on appelle Golgotha, c’est-à-dire le Crâne. 34 Là ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel. Jésus le goûta mais ne voulut pas en boire.
35 Alors ils le mirent en croix, puis ils tirèrent au sort pour se partager ses vêtements 36 et ils restèrent là assis pour le garder. 37 Au-dessus de sa tête, on avait écrit le motif de sa condamnation : “C’est Jésus, le roi des Juifs !” 38 On avait aussi crucifié avec lui deux bandits, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche.
39 Ceux qui passaient l’insultaient. Ils hochaient la tête 40 et disaient : “C’est toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours ! Sauve-toi donc, puisque tu es fils de Dieu, descends de ta croix !”
41 Les chefs des prêtres le ridiculisaient de la même façon, tout comme les maîtres de la Loi et les Anciens. Ils disaient : 42 “Il a sauvé les autres, mais il ne se sauvera pas lui-même ! Voilà bien le roi d’Israël ! Qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. 43 Il a mis sa confiance en Dieu, que Dieu maintenant le délivre s’il l’aime. Car il disait : Je suis le fils de Dieu.”
44 Et de la même façon les bandits crucifiés avec lui l’insultaient.
45 Tout le pays fut dans l’obscurité depuis midi jusqu’au milieu de l’après-midi. 46 On était à la neuvième heure du jour lorsque Jésus s’écria d’une voix forte : “Eli, Eli, lema sabacthani ?” ; ce qui veut dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?”
47 En l’entendant, plusieurs de ceux qui étaient présents firent cette réflexion : “Le voici qui appelle Elie !” 48 L’un d’eux courut prendre une éponge, la trempa dans du vin acidulé et l’attacha à un roseau pour le faire boire. 49 Mais les autres lui disaient : “Laisse donc, voyons si Elie vient le sauver.”
50 De nouveau Jésus poussa un grand cri et il rendit l’esprit.
51 Et voici que le voile du sanctuaire se déchire en deux de haut en bas, la terre tremble, les pierres se fendent, 52 les tombeaux s’ouvrent, et bien des corps se relèvent, des personnes saintes qui reposaient en paix. 53 Oui, après sa Résurrection ils sortirent des tombeaux, entrèrent dans la ville sainte et apparurent à plusieurs personnes.
54 A la suite de ce tremblement de terre, le capitaine et les autres qui gardaient Jésus avec lui furent remplis de crainte, voyant tout ce qui arrivait. Ils disaient : “Vraiment celui-ci était fils de Dieu.”
55 Un groupe de femmes se trouvait sur place à quelque distance. Elles avaient accompagné Jésus depuis la Galilée pour le servir et elles suivaient tout ; 56 parmi elles se trouvaient Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Joseph, et la mère des fils de Zébédée.
57 Le soir venu, un certain Joseph arriva. C’était un homme riche ; il était d’Arimathie et lui aussi disciple de Jésus. 58 Il s’était adressé à Pilate pour lui réclamer le corps de Jésus et Pilate avait donné l’ordre de le lui remettre.
59 Joseph prit le corps et l’enveloppa dans un linceul propre. 60 Il le déposa dans un tombeau neuf qu’il s’était fait creuser dans le roc, et il fit rouler une grosse pierre devant l’entrée de la tombe. Puis il s’en alla. 61 Mais Marie de Magdala et l’autre Marie restaient là assises en face de la tombe.
62 Le lendemain—c’était le jour après la Préparation—les chefs des prêtres et les Pharisiens allèrent ensemble trouver Pilate 63 pour lui dire : “Seigneur, nous nous sommes rappelés que ce menteur a dit quand il vivait : Je ressusciterai le troisième jour. 64 Donne donc l’ordre de faire surveiller la tombe jusqu’au troisième jour. Il ne faudrait pas que ses disciples viennent le faire disparaître et disent ensuite au peuple : Il s’est relevé d’entre les morts. Cette seconde fraude serait pire que la première.”
65 Pilate leur répondit : “Je vous donne une garde ; allez et faites garder comme vous le jugez bon.” 66 Ils se chargèrent donc de faire garder la tombe avec des scellés sur la pierre et, devant, un piquet de garde.
Jésus envoie ses apôtres pour évangéliser le monde.
Cette dernière rencontre est racontée dans les formes les plus simples. Pas d’apparition soudaine, ni de peur. A la différence des apparitions à Jérusalem, celles de Galilée ne disent pas que Jésus se fait reconnaître et se laisse toucher. Ici la présence du Seigneur s’impose aux disciples réunis. L’important sont les paroles de Jésus Maître.
Certains gardaient des doutes : cette appréciation vise sans nuances les dernières apparitions de Jésus. Tous les disciples (il ne s’agit pas des Onze) ne croient pas si vite en la résurrection de Jésus.
19. La mission s’étendra au monde entier ; on est entré dans les derniers temps et le peuple de Dieu s’ouvre à tous les peuples.
Ceux qui croient seront baptisés au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, les Trois Personnes que le Christ nous a révélées. Matthieu les nomme séparément parce que le Père n’est pas le Fils et le Fils n’est pas l’Esprit Saint. Et pourtant les Trois sont le même Dieu : elles ont en commun le même Nom divin. Voir à la page suivante.
20. Tout ce que je vous ai ordonné. Ces enseignements du Christ occupent la première place dans l’évangile de Matthieu, et nous devrons faire la volonté du Père telle que Jésus l’a révélée.
Je suis avec vous. C’est la présence du Christ-Dieu, celle-là même que Dieu offrait aux prophètes de la Bible (Ex 3,12 ; Jg 6,16). Tous les jours : sa présence active va remplir le temps de l’histoire.
Les chrétiens de la première génération pensaient que le Christ ne tarderait pas à revenir, mais au moment où a été écrit cet évangile, ils avaient déjà compris que l’histoire allait durer ; la nation d’Israël avait rejeté le salut qui lui était offert et seule une minorité avait cru. C’était avec elle que Jésus maintenant s’engageait, avec ses apôtres et avec son Église.
LE MYSTERE DE LA TRINITE
La formule du baptême que Matthieu nous a laissée a toujours été la pierre de touche de la foi chrétienne (Mt 28,19). Tout groupe qui se refuse à reconnaître que le Nom unique appartient aux trois personnes se place hors de la foi chrétienne. Matthieu les met sur un pied d’égalité bien que, au niveau du langage et des images, il pourrait paraître que le Fils et l’Esprit ne font pas le poids à côté du Père. On ne peut ignorer les paroles de Jésus: « Nul ne le sait, pas même le Fils, seul le Père » (Mt 24,36) et cette autre: « Le Père est plus grand que moi » (Jn 14,28). Par ailleurs, le sens habituel du mot « esprit » ne se prête guère pour donner à l’Esprit la consistance et la personnalité d’une personne véritable (Jn 3,8). En dépit de ces difficultés, nous croyons, sachant que le mystère dépasse infiniment les images et les mots.
De fait, quantité de textes du Nouveau Testament nomment sans les séparer les trois personnes: Mc 1,10 ; Lc 1,35 ; Jn 3,34 ; 14,26 ; 15,26 ; Rm 1,4 ; Rm 8,11 ; 8,16; 1Co 6,11 ; 12,4 ; 2Co 13,14 ; Ap 1,4. L’Église n’hésite donc pas à utiliser le mot Trinité pour désigner l’Unique.
Il ne suffit pas de garder ce mot pour être dans la vérité. Il semble que bien des personnes gardent inconsciemment l’image de trois personnes semblables qui, côte à côte, sont installées dans un même nuage. Cette égalité, ou cette ressemblance (la foi ne connaît que le premier de ces deux mots) peut être mal comprise; quand on lit la traduction classique de Jn 1,3: « Par lui tout a été fait » bien des auditeurs comprennent, non pas que tout a été fait à travers lui, mais que lui a tout fait. Le Fils aurait-il pris la place du Père ?
Ce qui nous égare plus souvent, c’est l’idée du Dieu installé dans une éternité immobile comme le voulait Aristote. Rien ne peut affecter l’Être suprême : il connaît tout, il sait tout, il n’a besoin de rien. Tout cela est vrai, mais il est difficile de le dire sans enfermer Dieu dans la catégorie des principes ou des sages solitaires, et il n’y a rien de plus contraire à l’esprit de la Bible. Cette image du Dieu unique a fait obstacle à la foi au Dieu-Fils dès le début, aussi bien pour les Juifs que pour les Grecs, et aujourd’hui encore elle retient de très nombreux chrétiens de se donner sans réserve à Jésus, Dieu né de Dieu.
Moïse et la Trinité
On oppose fréquemment la révélation du Dieu unique faite à Moïse et la foi trinitaire du Nouveau Testament. Il est certain que Dieu n’a pas tout révélé de son mystère à Moïse, mais lorsqu’il donne son nom: “Je suis: Je-Suis”, c’est bien plus qu’une définition que certains paraphraseront de la façon suivante: “Je suis celui qui existe par lui-même et qui existera toujours”. L’Être divin ne se contente pas d’être là, il s’affirme, et il continuera de s’affirmer comme on le voit par exemple en Is 45.
Dieu est inséparable de cette affirmation de lui-même. Il n’existe pas sans sa Parole qu’il projette : on a déjà là une approche de Dieu et son Verbe (Jn 1,1), ou Dieu et sa Sagesse (Pro 8,22). Mais tant qu’on en restait à l’image d’un Dieu dont l’autorité et la suffisance étaient celles d’un monarque, il était difficile de loger en lui quelque chose d’équivalent à une relation père-fils. Rappelons-nous que “générosité” et “engendrer” ont même racine.
La révélation du Dieu Amour
Jésus est venu précisément pour nous révéler le Dieu unique qui est le Père (Mt 19,17 ; Mc 14,36). Et il nous enseigne que la nature propre de Dieu, tout comme sa loi interne, sont celles de l’amour (Lc 7,47 ; Jn 15,9 ; 16,27). Du coup nous soupçonnons, pour le moins, qu’il y a dans l’Amour Dieu une générosité qui le fait sortir de lui-même. Dans l’Amour Dieu, nous dit l’Écriture, il y a à la fois surabondance et faiblesse (Rm 5,6-9 ; 1Co 1,21) comme le prouve sa miséricorde si grande (Lc 15,7).
Les trois Personnes ne sont pas seulement divines, il faut dire aussi qu’elles sont les trois faces opposées de l’Amour sans origine (1Jn 4,8), faces aussi inséparables que sont en nous l’être et l’agir, le corps et son énergie. Il ne peut y avoir ni existence, ni éternité, ni unité, ni Dieu qui ne se joue entre elles. Le Fils est né du Père, mais rien ne peut être ajouté à Dieu. Le Fils qui a tout reçu doit tout rendre pour être repris dans l’unité (Jn 19,30). L’Évangile de Jean affirme plus de trente fois (6,39 ; 17,18...) que le Fils est envoyé par le Père et qu’il retourne au Père. En s’exprimant ainsi, il ne parle pas seulement de Jésus homme entre les hommes, il exprime le mystère de sa personne divine qui est tout entière dans ce double mouvement.
Le Fils se défait de ce qu’il a reçu, c’est à dire de sa condition divine, et c’est ainsi qu’il entre dans le temps : voir la note sur le Mystère du Fils en Ph 2,6. Plus exactement, le moment où il pose sa tente parmi les humains est le principe du temps et de l’univers. Tout ce qui vient avant lui (Jn 1,30) dépend de l’instant où le Fiat de Marie re joindra le « Oui, je viens! » de Heb 10,6. Son dépouillement précède le temps ; réduit à rien, il devient source de richesse (2Co 8,9), il est le principe (Col 1,18) d’une création sujette à la matière et au temps.
La personne du Fils donne à l’Amour-Dieu sa profondeur: de l’infini à l’infime. Il était la condition pour que se loge en Dieu (à côté de Dieu ?) un univers où se manifeste la faiblesse tout autant que la splendeur, la surabondance de la nature et de la vie, mais aussi la faiblesse de ce qui n’a qu’un temps et qui doit être repris en Dieu (Qo 12,7). Par le Fils fait chair l’humanité pécheresse avec tout son revêtement de créatures, de terres et d’étoiles est et sera sauvée (Jn 12,32). Aujourd’hui même, tout au long du jour, chacun de nous a cherché l’autre face de son être, laquelle se trouve dans la salle du banquet (Is 25,6 ; Mt 22,11), dans l’éternité.
L’Esprit de Dieu
L’Amour-Dieu sans origine s’est projeté, il a établi sa loi et son rythme en la personne du Fils; impossible de parler de cette “génération”du Fils (Jn 5,19) sans ajouter que tout en Dieu met en jeu l’Esprit. L’Esprit commun n’est autre que la dynamique divine, laquelle se monnaiera bientôt à travers toute la création (Sg 1,7 ; Jn 7,37-39) tenant compte aussi bien des temps que de la diversité des vocations.
L’Esprit sera l’aimantation invisible qui magnétise toute créature. Multiple dans les créatures (Ap 1,4), elle harmonise en une seule louange toutes les vibrations du monde. Elle est à la fois le don et le retour à Dieu de l’Amour en toute créature qui aime (Jn 14,17). Amour qui peut être successivement nostalgie de l’éternel, extase ou peine d’amour, indignation face au mal, tendresse , force indomptable, don de soi-même. L’Esprit un et multiple (multiple à nos yeux, mais un aux yeux de Dieu) procède de Dieu et est Dieu.
Amour et Amant
Dieu est Amour : Amour est un amant et il n’y a pas d’amant qui ne choisisse. Si nous parlons du Fils (Jn 1,18) en qui se complait le Père, il est difficile de parler d’un choix, puisqu’il est unique. Cependant la parole du Père lors du baptême au Jourdain, reprise à la Transfiguration (Mt 17,5) contient le mot et l’idée d’un choix. Il a été aimé et choisi pour réconcilier le monde, et de même l’amour de Dieu pour le monde et pour les hommes est toujours la source de choix et d’appels. Il n’y a pas d’oubli plus grave, quand on présente la foi chrétienne, que de taire ou de minimiser le choix et l’appel gratuit qui ont fait de nous un peuple élu (Rom 8,29 ; 1Co 1,26 ; 1P 2,9). Le Magnificat de Marie chante les louanges d’une liberté de l’Amour qui n’est pas pour plaire aux esprits égalitaires: il nous faut bien pourtant accepter Dieu tel qu’il est.
Dieu se penche sur ce qui est petit
Le Fils nous a découvert la profondeur du mystère divin: le Dieu Amour est un Dieu qui aime et qui se penche sur ce qui est petit (Ps 113,6). Il y a là sans doute une autre façon de caratériser le mystère de Dieu, l´Être infini ne pouvait être sans des pauvres enrichis et des enfants pardonnés. La Bible le rappelle encore lorsqu’elle parle de la haine de Dieu pour tout ce qui s’élève (Is 2,11-16 ; Lc 16,15). Le Credo à son tour confirme cet aspect mystérieux de l’Être divin lorsqu’il dit que le Fils s’est fait homme pour notre salut.
Toujours il nous viendra des doutes face au mystère: comment peut-il y avoir un Être ou un Amour sans origine, sans cause, sans qu’il y ait déjà un lieu pour le recevoir... – et tous les fantasmes de notre imagination rivée à un cerveau matériel enfermé dans ses trois dimensions. L’Écriture nous dit : « Comment comprendrez-vous le Dieu qui a fait toutes choses ? » (Jdt 8,14). Mais si nous avons ouvert notre esprit et notre cœur à ce que nous révèle l’Écriture, il est fort douteux que la difficulté vienne de la croyance en la trinité du Dieu unique: cette révélation est si belle et si éclairante qu’on n’a pas à se fatiguer pour la justifier.
Les personnages de la Bible s’enracinent toujours dans l’histoire passée, car elle montre comment Dieu mène les événements et accomplit ses promesses. C’est le sens de cette liste d’ancêtres. Nous parlons souvent de “généalogie”, le mot grec signifie : “document des origines”.
Ce document n’a retenu que 42 noms arrangés en trois séries de 14, un chiffre symbolique pour les Juifs. Jésus est fils d’Abraham, le père des croyants ; il est aussi fils de David, et tous savaient en Israël que le Sauveur serait un descendant de David.
Le Sauveur est la fleur et le fruit de notre terre tout autant que de la race élue (Is 45,8). Jésus arrive au terme d’une très longue histoire marquée par la souffrance et le péché, mais aussi par l’espérance et la grâce. Nous aussi, nous sommes solidaires du Christ par le sang avant de l’être par la foi. Dans Luc 3,23 on lira une autre généalogie de Jésus.
2. Bien des personnes aujourd’hui ne savent rien de leurs ancêtres au-delà des grands-parents. Ce n’était pas le cas chez les Juifs pour qui le nom du père remplaçait notre nom de famille : Jésus “ben Joseph” –fils de Joseph (Jn 1,45). On gardait scrupuleusement la liste apprise par cœur des ancêtres et de leur lieu d’origine.
Les noms de la première série se lisent en Ruth 4,18-22. Ceux de la suivante, qui sont les rois fils de David, ont leur histoire dans le Livre des Rois. La Bible ne dit rien des descendants de Zorobabel (Esd 3 et 4).
La liste arrive jusqu’à Joseph, le père adoptif de Jésus. Parmi les Juifs, cette adoption suffisait pour que Jésus soit tenu pour fils de David, comme Joseph.
Les quatre femmes qui apparaissent ici sont mentionnées dans la Bible : Thamar, qui a tout fait pour garder la bénédiction de Dieu (Gen 38) ; Rahab et Ruth, deux étrangères fort différentes qui se sont intégrées au peuple de Dieu (Jos 2), et la veuve d’Urie, la belle Bethsabée, que David avait fait enlever.
On a pu noter le tournant du verset 16 : le paragraphe qui commence entend rappeler que Jésus est le descendant légitime de David, grâce à Joseph, mais qu’il n’a pas d’autre père que Dieu lui-même et qu’il a été conçu de l’Esprit Saint par une mère vierge.
Pour la première Église, l’origine de Jésus, fils de Marie vierge, était une donnée indiscutée. Ici Matthieu n’entend rien démontrer puisqu’il s’adresse à des croyants. Il se contente de rappeler que Dieu avait prévu l’enracinement de son Fils dans la descendance de David.
Ces phrases courtes et presque timides ne font qu’esquisser le mystère de Marie, la vierge par qui la vie terrestre monte vers Dieu pour s’offrir en hommage. Un messager traverse la nuit ; dialogue de paroles silencieuses : le monde s’ouvre à la présence dynamique de Dieu. En ce qui concerne la virginité de Marie, voir Lc 1,26.
Marie avait été donnée en mariage. Chez les Juifs, les fiançailles donnaient déjà tous les droits de la vie conjugale ; cependant la femme continuait à vivre chez ses parents. Une femme appartenait nécessairement à un homme, soit à son père, soit à son mari, soit au fils aîné si elle était veuve. Joseph devait donc la prendre chez lui pour qu’elle passe sous sa tutelle (20 et 24).
19. Tout se passe comme si Marie elle-même avait averti Joseph : il comprend que l’annonce à Marie présage beaucoup plus qu’un bébé à mettre au monde, et il se voit étranger à un tel destin. Il cherche donc comment rendre à Marie sa liberté sans lui faire de tort.
C’est le sens du verbe grec qui signifie : “exposer à une diffamation”et non pas “dénoncer”, comme on traduit souvent, comme si Joseph mettait en doute la fidélité de Marie. Cette erreur en entraîne une autre au verset suivant. On croit que l’ange veut rassurer Joseph : “Ne crains pas de prendre chez toi Marie, car elle est enceinte par l’intervention de l’Esprit Saint”. Mais ce “car” n’est pas le sens habituel de la conjonction grecque : l’ange annonce à Joseph qu’il n’est pas de trop dans cette affaire, lui aussi a un rôle à jouer dans le plan de Dieu.
Joseph adoptera Jésus et fera ainsi de lui un descendant légitime du roi David, car, selon toute probabilité, Marie appartenait à une autre tribu.
21. Jésus est la forme française de Yeshu’a qui signifie Sauveur, un nom juif très proche de celui que portait Josué. Et ce nom disait ce que serait l’enfant.
Matthieu cite une prophétie d’Isaïe (Is 7,14) qui annonce déjà le mystère de Jésus : descendant de David et présence de Dieu sur terre. Emmanuel, Dieu avec nous : Jésus, né de Marie dans le temps, est le Fils unique du Père, né de Dieu dans l’éternité, et il n’y a pas de place pour deux pères. C’est ainsi que la paternité adoptive de Joseph recouvre et protège un mystère.
A l’époque où sont rédigés les évangiles, la littérature juive se plaît à imaginer l’enfance des héros de la Bible : on venait d’écrire celle d’Abraham, celle de Moïse. Une étoile, disait-on, avait averti le Pharaon de la naissance d’un sauveur des Hébreux, et c’est pourquoi il avait décidé de faire périr tous les garçons, mais Moïse avait été sauvé.
Matthieu reprend ces images et il les adapte au contexte du temps, celui du roi Hérode. Elles donneront au lecteur une première approche de la mission de Jésus : ignoré des siens, persécuté, il ira donner l’Évangile aux non Juifs. Matthieu cite plusieurs fois l’Écriture, et chaque fois il ajoute : “ainsi devait s’accomplir”. Il nous invite ainsi à relire les textes anciens. Ils parlaient du peuple d’Isra ël, mais, mystérieusement, ils annonçaient Jésus : il vivrait ce qu’avait vécu son peuple : marches, recherche, joies et deuils, mais avec lui tout prendrait un sens nouveau.
Les Mages, peints selon l’image qu’on se faisait des prêtres-astrologues de Chaldée (Dn 2,2), représentent ici les nations étrangères qui viennent adorer le vrai Dieu (Is 60). Les prêtres et les chefs du peuple de Dieu n’attendaient rien et n’ont pas été avertis, mais Dieu a su appeler ses amis du monde païen : Jésus, Sauveur des Juifs, sauve l’humanité entière.
9. L’étoile les conduisait : c’est donc qu’ils marchaient dans la nuit. Ils croyaient aux étoiles et Dieu leur en avait trouvé une.
10. Revoir l’étoile fut une grande joie. Il n’y a que dans la Bible qu’on parle tellement de joie à la suite d’une visite de Dieu : Mt 5,12 ; 13,20 ; 13,44 ; 25,21 ; Lc 1,28 ; 1,19 ; 2,10 ; 10,20 ; 13,17 ; 15,32 ; 19,6 ; 24,52.